Marie Jean-Toussaint Desanti est né le 8 octo­bre 1914 au troi­sième étage du 2 rue Bonaparte à Ajaccio, dans l’appar­te­ment où était né son père Jean-François Marie en 1875. L’immeu­ble est situé dans la partie la plus ancienne de la ville d’Ajaccio. J.-T. Desanti est revenu pres­que chaque année dans l’appar­te­ment fami­lial.

« Voici que tu reconnais la rue où tu es né. Tu cher­ches ta maison. Elle n’y est plus : un nouvel immeu­ble l’a rem­pla­cée. Cet immeu­ble coexiste avec tous les autres qui peu­plent les rues de la ville. En cela, il n’a rien d’inquié­tant. Tu peux conti­nuer ta pro­me­nade et noter seu­le­ment que ta maison n’existe plus. Elle a dis­paru : mais son lieu est tou­jours là. Et c’est cela alors qui t’inquiète. Tu n’as rien à faire de cet immeu­ble. Sauf que le lieu qu’il occupe, lui, t’appar­tient puisqu’il te signi­fie le fait de ta nais­sance : et donc marque l’écart tem­po­rel qui te fait te reconnaî­tre comme encore vivant. S’ouvrent ainsi, pour toi, le champ de la remé­mo­ra­tion et des che­mins qui s’y des­si­nent. Ils s’ouvrent sur place, à partir de l’écart spa­tial qui te sépare de ce fâcheux immeu­ble, lequel cepen­dant te fait signe vers un « état de lieu » où était ta maison. »1

A Vico en 1994

JT. Desanti à Vico en 1994, pen­dant le tour­nage de « La para­bole corse », un film d’Ange Casta. Il cher­che à reconnaî­tre la maison de son enfance, qu’il retrou­vera grâce aux infor­ma­tions don­nées par les vieux du vil­lage.

A Vico en 1994

JT. Desanti à Vico en 1994, pen­dant le tour­nage de « La para­bole corse », un film d’Ange Casta. Il cher­che à reconnaî­tre la maison de son enfance, qu’il retrou­vera grâce aux infor­ma­tions don­nées par les vieux du vil­lage.

L’enfance de J.-T. Desanti a été bercée par une légende rap­por­tée par sa mère. Son arrière grand-père mater­nel convoyait des troncs d’arbres sur un long cha­riot tiré par des mules. Lors d’un péri­ple noc­turne dans la mon­ta­gne, il emmena son fils âgé de quatre ans (le grand-père de J.-T. Desanti), après l’avoir confor­ta­ble­ment ins­tallé sur les fûts. Mais, au petit matin, arri­vant à Vico, il décou­vrit que l’enfant n’était plus avec lui. Tout le vil­lage par­ti­cipa à la battue. On retrouva l’enfant pai­si­ble­ment endormi sur la bran­che basse d’un châ­tai­gnier. Les gens du vil­lage, tout comme l’aïeul, furent per­sua­dés qu’il avait été enlevé par les esprits de la forêt et que ceux-ci, devant le déses­poir des parents, l’avaient res­ti­tué. Dans le vil­lage, cette anec­dote entoura long­temps la famille d’une aura sacrée. Un jour des années 80, un très vieux berger confirma cette légende à J.-T. Desanti.

« Dans le vil­lage Corse où j’ai passé une partie de mon enfance - il y a bien long­temps de cela, c’était durant la der­nière année de la Première Guerre mon­diale -, le mot qui signi­fie seuil se dit mutale, c’est-à-dire : là où ça change, le lieu par où l’étranger devient un hôte et la fian­cée une épouse, le point où se fait l’accueil, où le statut de l’autre se décide, où s’annonce l’alliance. Je me rap­pelle encore ce temps-là : les mots avaient leur poids, et par­fois il m’arrive de m’attar­der à y penser.

[...] Il ne conve­nait pas de poser le pied sur le seuil. Le mutale était un non-lieu, un lieu zéro en quel­que sorte. Qui s’y trouve, n’étant nulle part, court le risque d’y demeu­rer à jamais et d’y dis­pa­raî­tre. Les signes de l’appar­te­nance à l’exté­rieur, armes et outils, doi­vent demeu­rer au-dehors. Qui enjam­bait le seuil, dépouillé de ces signes, rece­vait et offrait les signes de l’alliance, la soupe et le sou. Passer le seuil de cette porte ouverte était donc une affaire sérieuse, puisqu’il fal­lait par­tiel­le­ment se dépouiller pour le tra­ver­ser. »2

Philosophie : un rêve de flambeur, Grasset, 1999, p. 185.

Philosophie : un rêve de flambeur, Grasset, 1999, pp. 39-42.

Réflexions sur le temps, Grasset, 1992, pp. 185-186.